Bilan, réformes et perspectives
Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2023, le président argentin Javier Milei a imposé une politique radicale, qualifiée de « motosierra », visant à réduire drastiquement la taille de l’État et à appliquer un ajustement économique de choc. Un an après son investiture, son bilan suscite autant l’admiration de ses partisans que l’inquiétude de ses détracteurs. Cet article passe en revue les principales réformes menées, les résultats obtenus sur le plan économique et social, ainsi que les enjeux qui se profilent pour 2025.
1. Une politique de dérégulation et d’austérité radicale
1.1 La « motosierra » de l’État
Dès son investiture, Milei a fait de la réduction de l’appareil d’État sa priorité. Pour concrétiser son discours anti‑étatique, il a procédé à :
- La réduction du nombre de ministères : dix ministères ont été fermés ou fusionnés, et plus de 100 secretariats et subsecretariats ont été supprimés.
- Le licenciement de milliers de fonctionnaires : environ 34 000 emplois publics ont été supprimés, dans le but de dégager des économies et de « redonner le pouvoir au secteur privé ».
- La réorganisation des organismes étatiques : la transformation de Télam en agence de publicité, la dissolution de certaines agences comme l’INADI ou le réaménagement de l’AFIP en une agence plus allégée illustrent bien ce virage radical.
Ces mesures, qualifiées de « motosierra » par les observateurs, visent à défaire des structures considérées comme superflues ou inefficaces, héritées de politiques antérieures souvent critiquées pour leur surdimensionnement et leur inefficience.
1.2 Lutte contre l’inflation et ambitions de dollarisation
L’un des piliers du programme de Milei était la promesse de « dollariser » l’économie pour contrer l’hyperinflation. Bien que la dollarisation forcée n’ait pas été réalisée – en partie à cause du manque de réserves en dollars –, le président a :
- Mis en place une politique de contrôle des taux de change qui a réduit l’écart entre le dollar officiel et le marché parallèle.
- Encouragé une dollarisation endogène : Milei affirme que, petit à petit, les Argentins utiliseront spontanément le dollar dans leurs transactions quotidiennes, permettant ainsi de stabiliser la monnaie nationale.
- Réussi à faire baisser l’inflation : Alors que le taux mensuel atteignait jusqu’à 25 % au début de son mandat, celui‑ci est tombé à environ 3 % ces derniers mois – un résultat salué par ses partisans malgré les coûts sociaux de ce redressement.
2. Les résultats économiques et sociaux
2.1 Des indicateurs en amélioration… mais à quel prix ?
Sur le plan macroéconomique, le gouvernement Milei affiche plusieurs réussites :
- Stabilisation de l’inflation : La baisse drastique des taux d’inflation est perçue comme l’un des succès majeurs. Des sources internationales rapportent qu’après une période de turbulences, la crédibilité du système monétaire s’est améliorée.
- Réduction du déficit fiscal : Grâce à des recadrages budgétaires importants et à la diminution des dépenses de l’État, l’Argentine enregistre désormais un surplus budgétaire inédit depuis de nombreuses années.
Cependant, ces succès économiques ne se font pas sans conséquences :
- Une récession persistante : Malgré la stabilisation, la croissance reste faible et le pays demeure en récession, en partie à cause des coupes drastiques dans les dépenses publiques.
- L’augmentation de la pauvreté : Plus de la moitié de la population vit désormais en situation de pauvreté, en raison des ajustements qui ont touché les retraites, la santé et les services publics essentiels.
- Des tensions sociales accrues : La réduction des subventions et des programmes sociaux a généré des protestations, notamment de la part des syndicats et des organisations de défense des droits sociaux.
2.2 Un équilibre précaire entre rigueur économique et souffrances populaires
Les partisans de Milei soulignent que la baisse de l’inflation est indispensable pour sortir de décennies de déstabilisation monétaire et de déclin économique. Pour eux, la rigueur adoptée aujourd’hui est le mal nécessaire pour rétablir la confiance des investisseurs et préparer un redémarrage à long terme de l’économie argentine. Cependant, les détracteurs mettent en avant que les coûts sociaux, tels que la réduction des pensions et des services publics, risquent d’accroître les inégalités et de fragiliser le tissu social dans un pays déjà marqué par l’instabilité.
3. L’impact sur la scène politique et internationale
3.1 Un style populiste qui séduit une droite internationale
Javier Milei s’est rapidement imposé comme un leader emblématique de la droite extrême :
- Un discours radical et iconoclaste : Avec un style direct, souvent provocateur, Milei n’hésite pas à employer un langage tranchant et à critiquer ouvertement ses opposants politiques, qu’il s’agisse du « kirchnerisme » ou des « castes politiques traditionnelles ».
- Le soutien de figures internationales : Des personnalités telles qu’Elon Musk et l’ancien président américain Donald Trump ont exprimé leur admiration pour sa démarche. Cette reconnaissance à l’international contribue à renforcer son image d’icône du populisme libertarien.
3.2 La réorientation de la politique étrangère
Sur le plan international, le gouvernement Milei a amorcé une véritable reconfiguration des alliances :
- Un rapprochement avec l’Occident : Milei a affirmé son soutien à des partenaires traditionnels comme les États-Unis et Israël, tout en rejetant les blocs qu’il juge incompatibles avec sa vision, tels que les BRICS.
- Des relations ambivalentes avec la Chine : Bien que son discours initial fût opposé aux partenariats avec les pays communistes, les nécessités économiques ont conduit à une forme de dollarisation spontanée et à une coopération pragmatique avec la Chine, malgré des différences idéologiques.
- Des ambitions commerciales : Le président envisage des réformes visant à faciliter le commerce international, notamment par la suppression des barrières douanières et la signature de traités de libre-échange, comme celui projeté avec les États-Unis.
3.3 L’art de composer des alliances au sein d’un Congrès fragmenté
Même si son parti ne détient pas la majorité absolue au Congrès, Milei a réussi à faire passer une partie de son agenda grâce à des alliances ponctuelles avec des partis du centre-droit et des dissidents de formations traditionnelles. Ce jeu politique lui permet, malgré un environnement hostile, de consolider son pouvoir et de préparer les élections législatives de 2025.
4. Défis et perspectives pour 2025
4.1 Vers une « motosierra profonde »
Pour son deuxième mandat, le président annonce une intensification de sa politique de « motosierra profonde » :
- Des réformes supplémentaires : Milei promet d’aller encore plus loin dans le démantèlement des structures étatiques, en ciblant de nouveaux organismes et en réformant le système fiscal pour réduire drastiquement le nombre d’impôts.
- La perspective du « fermeture du Banco Central » : Une de ses ambitions phares reste la fermeture de la banque centrale, une mesure symbolique destinée à mettre fin à ce qu’il appelle « l’impôt inflationniste ».
4.2 Un équilibre économique fragile
Le bilan économique de Milei, bien que salué par certains indicateurs comme la baisse de l’inflation et la réduction du déficit, reste en proie à plusieurs incertitudes :
- La persistance de la récession : La croissance reste faible et les risques de dévaluation subsistent, notamment si l’économie ne parvient pas à générer suffisamment de dynamisme par le biais des exportations et de l’investissement privé.
- Les effets sur le pouvoir d’achat : La baisse des subventions et les coupes dans les dépenses sociales continuent de peser sur le quotidien des Argentins, exacerbant le sentiment de précarité chez les classes populaires.
4.3 Les enjeux sociaux et politiques
Les défis pour 2025 ne se limitent pas au domaine économique :
- La question sociale : Alors que l’inflation se stabilise, la question de la pauvreté et de l’accès aux services publics demeure cruciale. Les critiques soulignent que la politique de rigueur risque de creuser les inégalités.
- La consolidation du pouvoir politique : Avec des élections législatives à l’horizon, Milei devra renforcer ses alliances au sein du Congrès pour éviter de voir son agenda bloqué par une opposition unie.
- L’impact à long terme : La transformation de l’État et l’effort de dérégulation auront des répercussions durables sur le modèle économique et social argentin, et il reste à savoir si ce virage permettra réellement de relancer durablement la croissance ou s’il engendrera de nouvelles fractures dans la société.
Conclusion
Un an après son investiture, Javier Milei demeure une figure emblématique et controversée. Ses réformes radicales – allant de la réduction drastique des dépenses publiques à une politique de dérégulation ambitieuse – ont permis de stabiliser certains indicateurs économiques, notamment en baissant significativement l’inflation. Toutefois, ces succès se font au prix d’une récession persistante et d’une augmentation de la pauvreté, qui pèsent sur le quotidien des plus vulnérables.
Sur la scène internationale, Milei a su redéfinir les alliances et séduire une droite mondiale, même si son modèle reste encore très contesté. Les défis pour 2025 sont nombreux : il s’agira de poursuivre les réformes sans aggraver les tensions sociales, de consolider ses alliances politiques pour faire avancer son agenda, et de trouver un équilibre durable entre rigueur économique et justice sociale.
Le bilan de Milei après un an illustre à la fois les promesses et les limites d’un virage libertarien audacieux dans un contexte de crise chronique. Seul le temps dira si ce modèle pourra offrir une solution viable à long terme pour l’Argentine.